Adieu Grandma !

— Tu as encore oublié quelque chose ! s’écria M. Bouillon.

— Je ne vois pas, dit Georges.

— Abandonne, mon fils, dit Mme Bouillon. Arrête ! Tu n’y arriveras jamais.

M. Bouillon était complètement déconfit.

Georges, lui, en avait assez. Il était toujours agenouillé avec sa cuillère d’une main et sa tasse de l’autre. La ridicule et minuscule poule brune s’éloignait lentement.

A ce moment-là, Grandma traversa la cour à grands pas. De toute sa hauteur, elle lança un regard furibond aux trois petits êtres au-dessous d’elle.

— Que se passe-t-il ? tonna-t-elle. Pourquoi ne m’a-t-on pas apporté mon petit déjeuner ? C’est déjà malheureux de dormir dans une grange au milieu de rats et de souris. En plus, si je dois mourir de faim, que le diable m’emporte ! Pas de thé ! Pas d’oeuf ! Pas de bacon ! Pas de tartine beurrée !

— Je suis désolée, mère, dit Mme Bouillon. Nous avons été très occupés. Je vais te préparer ton petit déjeuner.

— Non, c’est le travail de Georges, cet affreux petit paresseux ! cria Grandma.

A l’instant même, la vieille femme aperçut la tasse que tenait Georges. Elle se courba et y jeta un coup d’oeil. Elle vit que la tasse était pleine d’un liquide brun, qui ressemblait à du thé.

— Oh ! oh ! Ah ! ah ! fit-elle. Voilà à quoi tu joues ? Tu ne t’intéresses qu’à toi ! Toi, tu es sûr d’avoir ton petit déjeuner ! Mais tu ne penses même pas à ta pauvre vieille Grandma ! Tu n’es qu’un sale petit égoïste, je le savais bien.

 

 

— Non, Grandma, protesta Georges. Ce n’est pas...

— Pas de bobards, petit ! vociféra la vieille sorcière géante. Donne-moi cette tasse immédiatement.

— Non ! cria Mme Bouillon. Non, mère, ne la bois pas ! Ce n’est pas pour toi !

— Toi aussi, tu es contre moi ! hurla Grandma. Ma propre fille, qui veut m’empêcher de prendre mon petit déjeuner et souhaite que je meure de faim !

M. Bouillon leva les yeux vers l’horrible mégère.

— Bien sûr qu’elle est pour toi, Grandma, dit-il d’un air doucereux. Bois ton thé tant qu’il est bien chaud !

— Sûr que je vais le boire ! dit Grandma en tendant son énorme main calleuse. Va, donne, Georges.

— Non, non, Grandma ! cria Georges en éloignant la tasse de potion. Il ne faut pas ! Tu ne dois pas goûter ça !

— Donne-moi cette tasse, que diable ! hurla Grandma.

— Non ! cria Mme Bouillon. C’est la potion de Georges...

— On dirait que tout appartient à Georges depuis hier, brailla Grandma. Georges a ceci, Georges a cela ! J’en ai ras le bol de Georges !

Elle arracha la tasse des mains de Georges.

— Bois, Grandma, dit M. Bouillon avec un large sourire. C’est du bon thé, ça !

— Non, non, nooon ! hurlèrent Georges et sa mère.

 

 

 

 

 

Trop tard, la vieille grande perche avait déjà porté la tasse à ses lèvres et avalé une gorgée.

— Mère ! gémit Mme Bouillon. Tu viens d’avaler cinquante doses de la potion magique numéro quatre. Regarde ce qu’une seule dose a fait à cette petite poule brune !

Mais Grandma n’entendait rien. Sa bouche crachait d’épais nuages de vapeur. Puis elle commença à siffler.

— Ça devient intéressant ! dit M. Bouillon, souriant de plus belle.

— Tu n’aurais jamais dû faire ça ! cria Mme Bouillon, furieuse. Tu as réglé son compte à ma mère !

 

 

— Moi ? Je n’ai rien fait ! protesta M. Bouillon.

— Oh, si ! Tu lui as dit de boire la tasse !

 

Un abominable sifflement retentit au-dessus de leurs têtes. Grandma crachait de la vapeur par la bouche, par le nez et par les oreilles.

 

 

— Elle se sentira mieux quand elle aura craché son venin, dit M. Bouillon.

— Elle va exploser ! gémit Mme Bouillon. Comme une Cocotte-Minute !

— Calme-toi ! dit M. Bouillon. Georges, lui, était affolé. Il se leva et recula de quelques pas. Les jets de vapeur blanche jaillissaient de la tête décharnée de la vieille sorcière, et le sifflement strident crevait les tympans.

— Police secours ! Pompiers ! criait Mme Bouillon. Vite, une lance à incendie !

— Trop tard, dit M. Bouillon ravi.

— Grandma, s’écria Mme Bouillon. Mère, cours à l’abreuvoir et plonge la tête sous l’eau !

 

 

Mais le sifflement s’était arrêté. Le jet de vapeur, aussi. Alors, Grandma commença à se ratatiner. Sa tête, qui avait atteint la hauteur du toit de la ferme, descendait...

— Une bonne leçon pour toi, Georges ! s’écria le père Gros Bouillon tout agité. Regarde ce qui arrive lorsqu’on prend cinquante doses au lieu d’une !

Très rapidement, Grandma reprit sa taille normale.

— Arrête, mère ! suppliait Mme Bouillon. C’est bon, maintenant.

Mais Grandma ne s’arrêtait pas. Elle devenait de plus en plus petite. Bientôt, elle ne fut pas plus haute qu’une bouteille de limonade.

— Comment vas-tu, mère ? demanda Mme Bouillon, inquiète.

 

Le minuscule visage de Grandma gardait toujours son expression de fureur et de méchanceté Ses yeux, gros comme des trous de serrure, jetaient des éclairs de rage.

 

 

— Comment je me sens ? piailla-t-elle. Qu’est-ce que tu imagines ? Comment te sentirais-tu, à ma place ? Il y a une minute, j’étais une magnifique géante et maintenant je ne suis plus qu’une misérable naine !

— Elle continue ! s’écria allègrement M. Bouillon. Elle se ratatine encore !

Et diable, c’était la vérité.

Quand Grandma atteignit la hauteur d’une cigarette, Mme Bouillon la prit dans sa main.

— Que faire pour l’empêcher de rapetisser ? criait-elle.

— Il n’y a rien à faire, dit M. Bouillon. Elle a pris cinquante doses.

— Il faut que je fasse quelque chose ! gémit Mme Bouillon. Elle est si petite que je ne la vois presque pas !

 

 

— Tire-lui les pieds et la tête ! dit M. Bouillon.

Mais déjà, Grandma avait la taille d’une épingle...

 

 

Puis, celle d’une graine de citrouille.

 

Puis...

 

 

Puis...

 

 

— Où est-elle passée ? demanda Mme Bouillon. Je l’ai perdue !

 

 

— Hourra ! s’écria M. Bouillon.

— Elle est partie, elle a disparu complètement ! cria Mme Bouillon.

 

 

— C’est ce qui arrive aux gens qui ont mauvais caractère et ronchonnent tout le temps, dit M. Bouillon. Sacrée potion, Georges !

Georges, lui, ne savait pas quoi penser.

Pendant quelques minutes, Mme Bouillon se mit à errer dans la cour, le visage défait, en répétant :

— Mère, où es-tu ? Où es-tu passée ? Où es-tu allée ? Comment te retrouver ?

Mais elle se calma vite. A midi, elle répétait :

— Au fond, c’est peut-être mieux ainsi. Elle nous dérangeait un peu dans la maison.

— Tu l’as dit ! renchérit M. Bouillon. C’était une enquiquineuse !

Georges, lui, se taisait. Il frissonnait encore. Ce matin-là, un événement extraordinaire s’était produit. Pendant quelques brefs instants, Georges avait touché du bout des doigts la frontière d’un monde magique.

 

 

La Potion magique de Georges Bouillon
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